Clap de fin pour le gaz de Groningue

A view of a gas production plant is reflected in the roof of a car in 't Zand in Groningen February 24, 2015. REUTERS/Michael Kooren

Publié le 05/06/2017

8 min

Publié le 05/06/2017

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Au cours des dernières années, l’extraction de gaz naturel à Groningue (Pays-Bas) a souvent fait la Une des journaux néerlandais. En cause : les incessants tremblements de terre causés par l’extraction et le tarissement du champ entraînant une baisse de la production. La fin de l’exploitation du champ annoncée, la France, et particulièrement les Hauts-de-France, doivent l’anticiper et prendre des mesures pour faire face à cette nouvelle donne. De l’épuisement du champ gazier hollandais de Groningue à l’éclosion du projet de conversion gaz H-gaz B baptisé « Tulipe » en France, Gaz d’aujourd’hui revient sur les faits et dresse un premier état des lieux.

Par Laura Icart

« Le plus grand champ gazier de l’Union européenne, celui de Groningue, dans le nord des Pays Bas, se tarit inexorablement et sera épuisé dans dix-sept ans » ont annoncé les autorités néerlandaises en septembre 2016. Les réserves de gaz seraient déjà épuisées à plus de 80 %. Une véritable révolution dans un pays où les recettes gazières ont fortement contribué à en assurer la prospérité.

La terre tremble

Le gisement de gaz naturel de Groningue, le plus grand d’Europe occidentale, a été découvert en 1959. En 1963, les premières extractions ont débuté. Le 26 décembre 1986, le premier tremblement de terre a été mesuré. Depuis, ils n’ont jamais cessé. Les spécialistes évaluent à plus de mille le nombre de secousses recensées dans cette zone depuis plus de trente ans. Même si elles sont généralement d’une assez faible magnitude (inférieure à 1) sur l’échelle de Richter, elles causent de nombreux dégâts sur les habitations environnantes et sont fortement ressenties par les habitants de la région. Une gronde locale et une situation que beaucoup d’experts géologues ont jugé depuis de nombreuses années « extrêmement préoccupante » ont conduit en 2013 les autorités néerlandaises à reconnaître le lien entre les forages et le risque sismique et à prendre des mesures, quitte à devoir fermer le robinet de sa poule aux œufs d’or.

Une production en baisse depuis 2015

Les Pays-Bas sont le deuxième producteur européen de gaz naturel. En 2011, les revenus du gaz avaient participé à hauteur de 8 % aux revenus de l’État. En 2013, le gouvernement néerlandais avait tiré quelque 13 milliards d’euros de ses ressources gazières, affichant alors une production proche des 54 milliards de mètres cubes de gaz. Depuis la production n’a cessé d’être réduite, diminuant presque de moitié pour atteindre le 24 milliards aujourd’hui. Les recettes du pays n’étaient plus que de 5 milliards en 2015. Une situation qui risque encore d’évoluer puisque le ministre de l’Économie vient d’annoncer, le 18 avril, une nouvelle réduction de 10 % de la production à partir du mois d’octobre 2017.

Thierry Bros, chercheur associé à l’Oxford Energy Institute, résume très clairement dans un entretien accordé à Gaz d’aujourd’hui la problématique actuelle du pays : « Les Pays-Bas ont produit, entre 2013 et 2016, 35 milliards de mètres cubes en moins de production de gaz local, c’est considérable ! Quand vous produisez des milliards en moins, c’est autant d’impact sur le budget national, mais c’est aussi du gaz que vous allez devoir remplacer par celui qui vient de plus loin, donc le payer à des étrangers. De là à imaginer un risque pour la sécurité d’approvisionnement, il n’y a qu’un pas. »

Mais un marché qui semble s’adapter

Pour Thierry Bros, c’est la principale leçon et sûrement la plus intéressante à tirer de Groningue et de l’expérience que vivent les Pays-Bas actuellement : l’Europe a « un marché suffisamment performant pour que le choix des Pays-Bas [de diminuer sa production de plus de 20 %, NDLR] n’est pas eu de ressenti au niveau des prix ». Une situation loin d’être gagnée : « Si vous aviez commencé l’année en disant, je vais enlever 35 milliards de mètres cubes de gaz sur les trois prochaines années et en vous demandant comment va réagir le  marché, 99,9 % des traders vous auraient prédit une hausse des prix. Hors elle n’a pas eu lieu. » Une situation qui s’explique selon l’économiste par le grand nombre de terminaux d’importation et la capacité d’importation disponible dans les tuyaux dont dispose le marché européen. Un marché où la concurrence entre les fournisseurs fonctionne suffisamment pour venir remplacer le déficit de production du champ hollandais. Les russes ont d’ailleurs fourni 20 milliards de m3 de gaz en plus entre 2015 et 2016 en Europe. Un choix stratégique selon Thierry Bros, afin de « consolider leur part de marché sur du long terme ». Doublement stratégique dans un pays où le système énergétique est basé presque exclusivement sur le gaz naturel (98 % des foyers l’utilisent pour la cuisson et le chauffage). Pour Thierry Bros « la réaction parfaite du marché », sans « aucune intervention gouvernementale » est plutôt une bonne nouvelle pour l’industrie gazière. « La Commission européenne avait donc raison depuis plusieurs années de libéraliser le marché gazier en mettant en concurrence l’ensemble des acteurs. »

La fin du gaz B : une nouvelle donne en France

La déplétion annoncée du gisement de gaz de Groningue a conduit les Pays-Bas à ne pas reconduire les contrats d’approvisionnement français en gaz B au-delà de 2029. Or le réseau de gaz B alimente en gaz naturel la majeure partie de la région des Hauts-de-France. Par conséquent la conversion du réseau en gaz H est devenue une nécessité.

Plus de 1,3 million de clients concernés

Les réseaux de distribution (GRDF, Sicae de la Somme et du Cambraisis et Gazélec Péronne) et de transport (GRTgaz), ainsi que le site de stockage souterrain de Gournay (Oise) de Storengy sont directement impactés par cette conversion. 1,3 million de clients en distribution et une centaine de clients industriels raccordés au réseau de transport sont concernés, soit près de 10 % de la consommation française.

À la demande des pouvoirs publics, les opérateurs français étudient depuis de nombreux mois un schéma industriel de conversion en gaz H dans les Hauts-de-France et ont déjà initié de nombreux contacts avec les parties prenantes, notamment avec l’opérateur néerlandais GTS.

Le décret encadrant la conversion du réseau de gaz naturel B en gaz H, publié au Journal officiel le 25 mars 2016, prévoit notamment la réalisation d’une phase pilote sur la période 2016-2020. Cette première phase doit permettre l’expérimentation de différents scénarios afin de définir au mieux la manière de mener cette conversion chez les clients alimentés au gaz naturel, et notamment en termes de coûts à engager.

Le 23 septembre 2016, GRDF, Gazélec Péronne, Sicae Somme et Cambraisis, Storengy et GRTgaz ont soumis aux ministres concernés un projet de plan de conversion. Cette conversion au gaz H suppose l’adaptation de la pression de livraison, ainsi qu’un réglage de certains appareils installés chez les clients (chaudières, process industriels, fours, etc.) ou leur modification, voire leur remplacement si nécessaire. Ce plan de conversion concerne les départements du Nord, du Pas-de-Calais, de la Somme, de l’Oise, de l’Aisne, ainsi que quelques communes de Seine-Maritime. Compte tenu du très grand nombre d’opérations à réaliser, il repose sur un découpage en une vingtaine de secteurs géographiques qui seront convertis progressivement jusqu’en 2029. Ce plan de conversion fera ensuite l’objet d’un arrêté, après réalisation d’une évaluation économique et technique par la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

Le temps de l’expérimentation

La phase expérimentale de cette opération de grande envergure, prévue de 2017 à 2020, est aujourd’hui en cours de démarrage sur quatre secteurs pilotes : le secteur de Doullens (6 000 clients répartis sur 10 communes du Pas-de-Calais et de la Somme), le secteur de Gravelines (11 000 clients répartis sur 11 communes du Nord et du Pas-de-Calais), les secteurs de Grande-Synthe (23 000 clients répartis sur 3 communes du Nord) et de Dunkerque (45 000 clients répartis sur 23 communes du Nord). En 2020, avec le retour d’expérience de l’expérimentation, les modalités opérationnelles de la conversion pourront être adaptées, avant le lancement de la phase de conversion généralisée à partir de 2021. Le changement du gaz B en gaz H sera réalisé secteur par secteur. GRDF sera le premier opérateur concerné pendant ces phases pilotes avec un recensement des clients qui devrait débuter dès septembre 2017 sur le secteur de Doullens avant une phase d’adaptation chez les clients prévue en 2018. GRTgaz a prévu une série de travaux sur le réseau de transport dans les zones pilotes dès 2017 en amont des interventions menées chez les clients. Le site de stockage souterrain de Gournay-sur-Aronde, seul stockage français à recevoir du gaz B, « ne devrait pas être concerné par la conversion avant 2026 ou 2027 », indique Philippe Meynard, responsable du pôle stratégie chez Storengy.