Centrales à cycle combiné gaz : Vers un retour en grâce ?

Centrale belgique © direct energie

Publié le 22/06/2017

8 min

Publié le 22/06/2017

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Réduire les émissions atmosphériques tout en sécurisant le système électrique, c’est en substance la promesse offerte par les centrales à cycles combinés gaz (CCCG). Introduites au début des années 1970, elles ont un connu un développement rapide en Europe mais aussi un fort déclin au début des années 2010. En France, le développement de cette technologie est resté modeste. Cette année pourtant, l’ensemble du parc français disponible a tourné à plein régime. Les CCCG ont-elles une nouvelle carte à jouer dans notre pays ? État des lieux.

Par L.I.

Avec un mix électrique très fortement dominé par le nucléaire (plus de 75 %), la France, contrairement à ses voisins britanniques, italiens ou espagnols, a peu investi dans la technologie de pointe que sont les centrales à cycle combiné gaz. Elles sont en effet un condensé de technologie combinant un rendement énergétique deux fois supérieur à une centrale thermique classique, une flexibilité élevée et un impact environnemental réduit : 50 % émissions de dioxyde de carbone (CO2) en moins, 75 % d’émissions d’oxydes d’azote (NO2) en moins et une quasi suppression des émissions d’oxydes de soufre (SO2).

Ovni en Europe du fait de son mix énergétique, la France se distingue très clairement de ses voisins. Si le gaz naturel est la deuxième source d’énergie utilisée dans notre pays, son usage dans la production d’électricité a toujours été extrêmement limité (environ 4 % de la matrice électrique nationale). Même si la tendance tend à s’inverser ces deux dernières années avec une sollicitation plus forte des CCCG, cette filière ne représente aujourd’hui qu’environ 5,2 GW de puissance installée sur les 130 GW existants dans la totalité du parc français.

Panorama du paysage français actuel 

La centrale de Bouchain © EDF – Maxime Dufour

La technologie à cycle combiné gaz se développe en France au milieu des années 2000. C’est en 2005 que le groupe Engie a inauguré sa première CCCG DK6 à Dunkerque. DK6, d’une puissance électrique de 790 MWe, est alimentée par les gaz sidérurgiques d’Arcelor Mittal Dunkerque, ainsi que par du gaz naturel depuis le terminal d’Engie de Loon-Plage situé à une dizaine de kilomètres du site. Engie a construit trois centrales en l’espace de six ans : Cycofos (490 MWe), mise en service en janvier 2010 à Fos-sur-Mer ; Combigolfe d’Engie Électrabel (juillet 2010, 435 MWe) également à Fos-sur-Mer et la centrale Spem de Montoir-de-Bretagne de 435 MW, entrée en service en 2011. Les CCCG constituent la majorité du parc de centrales électriques du groupe Engie avec une capacité installée, en avril 2017, de 2 136 MWe. Deuxième grand propriétaire de CCCG, en France, le groupe EDF qui a mis en service une centrale à cycle combiné au gaz naturel de 430 MWe à Blénod-lès-Pont-À-Mousson, en 2011. Le groupe électricien français a également transformé la centrale au fuel de Martigues (Bouches-du-Rhône) en deux cycles combinés au gaz totalisant 930 MW, opérationnels depuis 2011 et 2012. C’est la plus importante centrale en termes de capacité installée en France. `

Bouchain : la centrale de tous les records

EDF a inaugurée en grande pompe en juin 2016, la dernière-née de ses centrales à cycle combiné gaz sur le site de Bouchain, dans le Nord. Une centrale à CCG de nouvelle génération qui s’est payé le luxe d’intégrer directement le Guinness Book des records. Avec une puissance maximale de 605 MW, cette turbine, développée et produite par GE, se veut la plus performante à travers le monde. Cette centrale pourra délivrer une puissance maximale de 605 mégawatts – elle alimentera l’équivalent de 680 000 foyers –, avec un rendement record de 62,22 % qui lui permettra de réduire les émissions atmosphériques (58 % pour une centrale combiné gaz classique et de 37 % pour une centrale au charbon classique). 

La centrale du Bouchain © EDF – Maxime Dufour

Direct Énergie possède la centrale de Bayet (Allier, 410 MW) qu’elle a racheté en 2015 au groupe énergétique suisse Alpiq, pour un montant avoisinant les 45 millions d’euros. Direct Énergie a également lancé en 2011 un projet d’ouverture de centrale CCG à Landivisiau, en Bretagne (422 MWe), dans le cadre du pacte électrique breton, qui n’a toujours pas reçu aujourd’hui le feu vert de la Commission européenne. Le groupe d’investissement américain KKR est le propriétaire des CCCG de Pont-sur-Sambre (Nord, 440 MWe) et de Toul (Meurthe-et-Moselle, 422 MWe) qui, après avoir connu des années noires marquées notamment par l’effondrement du marché de gros de l’électricité et des saisons douces, fonctionnent aujourd’hui au maximum de leurs capacités. Le groupe Uniper a mis en service en mars 2010 une CCCG (2 tranches) de 414 MW chacune, soit une capacité totale de 828 MWe mise en service en mars 2010.

Une filière fragilisée depuis 2011…

En France comme en Europe, la filière a connu une période de déclin à partir de 2012 et a vu sa rentabilité baissée de manière exponentielle. Une situation expliquée par plusieurs facteurs : la réduction de la demande électrique en Europe et la concurrence du charbon américain qui, a contrario du prix du gaz, a vu ses prix lourdement chuter, sans compter la faiblesse des prix des quotas d’émission de CO₂ sur le marché européen ETS qui a accru la compétitivité du charbon face au gaz dans la production d’électricité. Entre 2011 et 2014, la production d’électricité à partir de gaz naturel a chuté de près de 40 % en moyenne dans l’Union européenne. Un coup d’arrêt qui a entraîné de lourdes conséquences pour un grand nombre d’énergéticiens en Europe. Leurs CCCG de moins en moins sollicitées, les opérateurs de centrales ont adopté différentes stratégies pour pallier au manque de rentabilité. Le plus courant et la principale utilisée a été la mise sous cocon. Ce fut d’ailleurs le choix d’Engie qui, en avril 2013, a mis à l’arrêt partiellement ou totalement trois de ses quatre CCCG en France. D’autres opérateurs ont également fait le choix de vendre leur CCCG les plus déficitaires, comme ce fut le cas pour l’électricien autrichien Vermud avec les centrales de Pont-sur-Sambre et de Toul mais aussi d’Alpiq qui s’est séparé de la centrale de Bayet à perte.

… mais qui connait un regain d’activité depuis 2015

En France, depuis 2015, la production électrique des centrales à gaz a connu une forte croissance (+ 54,8% en 2015), soit un total de 22,1 TWh (4 % du mix électrique national). L’hiver 2016-2017 a incontestablement sonné le renouveau pour les CCCG en France puisque l’ensemble du parc français (11 CCCG) a été mobilisé pour atteindre une consommation record de 46 TWh en 2016. Une situation qui s’explique par une période de grand froid couplée à une meilleure compétitivité du prix du gaz que les années précédentes (14 euros le MWh en 2016 contre 20 euros le MWh en 2015). Les CCCG ont été très sollicitées cet hiver comme moyens d’appoint lors des périodes de forte demande, avec un besoin en gaz estimé à environ 85 GWh par jour.

Une filière également portée par une dynamique environnementale

Si les énergies renouvelables sont appelées à prendre de plus en plus d’importance dans la production électrique de notre pays, elles sont aussi, pour l’éolien et le photovoltaïque, intermittentes. Les CCCG ont la capacité de compenser cette intermittence grâce à une production flexible dans le temps et de maintenir en équilibre le réseau. L’industrie gazière a beaucoup communiqué ces derniers mois sur le rôle des CCCG pour accompagner le développement des énergies renouvelables dans la production d’électricité française. Si l’hiver écoulé aura permis de démontrer l’utilité des CCCG dans notre pays, leur avenir n’est pas pour autant dégagé. Seules des réformes structurelles et en premier lieu la mise en place d’un prix fort du CO₂ pourront accroître leur compétitivité et pérenniser la filière à long terme.

 

© ENGIE DUREUIL PHILIPPE

La centrale électrique à cycle combiné DK6 à Dunkerque (cheminée de bypass et chaudière).