Avancer vers un nouveau modèle

Ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique, elle est la négociatrice principale pour la COP 21.

Publié le 09/11/2015

6 min

Publié le 09/11/2015

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Laurence Tubiana représentante spéciale du gouvernement français pour la conférence Paris Climat est chargée des négociations sur le changement climatique. Elle doit négocier l’accord international final de la COP21 qui sera conclu à Paris le 12 décembre 2015.

 

La France organise et préside la COP 21, c’est un rendez-vous majeur pour notre pays. Quels objectifs vous êtes-vous fixés pour que cette présidence soit un succès ?

Laurence Tubiana : Premier impératif, l’impartialité : c’est la seule position qui soit tenable ! Un excès d’autorité serait voué à l’échec : les États gardent la main, car leurs intérêts vitaux sont en jeu. Nous avons également fait le choix d’agir sur tous les plans afin de mettre toutes les chances de notre côté : l’accord, mais aussi les contributions nationales, les moyens financiers et technologiques, l’agenda des solutions. Enfin, nous adoptons une démarche ambitieuse. On ne peut pas se contenter d’un accord a minima, correspondant au plus petit dénominateur commun entre les États, pour sauver la face. Ce ne serait pas rendre service à la cause climatique.

Quels sont les engagements de la France ?

En amont de la COP 21, chaque pays doit publier une « contribution nationale », ce qu’il se propose de faire à son échelle pour relever le défi climatique. Dans le cas de l’Union européenne, c’est particulier car la contribution est commune aux 28 États membres : une réduction d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à 1990. Par ailleurs, la loi de transition énergétique nous a permis au niveau national d’avancer vers un nouveau modèle, plus sobre et moins dépendant des énergies fossiles et nucléaire. Enfin, en matière de solidarité internationale, la France s’est engagée à porter ses financements en faveur du climat à 5 milliards d’euros par an d’ici 2020, contre 3 milliards aujourd’hui.

Le président des États Unis, Barack Obama, a présenté son plan de lutte contre le changement climatique. La Chine a également fait part de sa volonté de s’engager. Ce sont des pays qui n’avaient pas ratifié le protocole de Kyoto. Êtes-vous optimiste sur les chances d’aboutir à un accord contraignant ?

Oui, mais tout dépend de ce que l’on entend par « contraignant ». Il aura de toute façon la force d’un traité international, mais le débat sur sa forme juridique précise n’est pas encore tranché. Il est fort peu probable qu’il soit basé sur une logique de sanctions, comme le protocole de Kyoto : cela serait inacceptable pour certains. Il faut donc adopter une autre logique, plus facilitatrice et moins punitive. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne sera pas appliqué : au final, le fait que tous les pays fassent partie de l’accord, la perspective d’être mis au ban de la communauté internationale, peut être le plus dissuasif des mécanismes.

Vous avez souvent évoqué l’importance de l’engagement des entreprises. Le « Business and Climate Summit » en mai 2015, la création de l’« Agenda des solutions » en décembre prochain sont autant d’étapes importantes. Avez-vous le sentiment que les entreprises ont pris conscience des enjeux ?  Quels rôles peuvent jouer plus spécifiquement les entreprises énergétiques ?

Oui, je crois qu’il y a une prise de conscience, une volonté des entreprises de participer activement au succès de la COP 21 plutôt que de regarder simplement les États négocier entre eux. Il y a trois types de choses que peuvent faire les entreprises : s’engager individuellement, en se fixant des objectifs propres et en prenant des mesures en matière d’adaptation et d’atténuation ; rejoindre des initiatives coopératives ou des partenariats internationaux, soutenues par les partenaires du plan d’action Lima-Paris ; et enfin, encourager activement et publiquement les gouvernements à prendre des décisions ambitieuses. Les entreprises énergétiques sont déjà mobilisées sur tous ces plans. Elles peuvent encore faire plus, en diversifiant leur production vers les énergies renouvelables, en investissant dans les technologies de rupture comme la capture et stockage du carbone, en revoyant leurs stratégies d’exploration. L’ère des énergies fossiles tous azimuts touche à sa fin. Il faut prévoir l’après et pour cela agir dès maintenant.

Les industriels dans leur grande majorité appellent à un prix du carbone mondial. Pensez-vous que l’on puisse retrouver cette ambition dans l’accord final de décembre ?

À partir du moment où l’on abandonne l’idée d’un plafond global aux tonnes de CO2 émises par les pays – ce qui était l’idée du protocole de Kyoto – et que l’on demande à chaque pays de s’engager sur son propre chemin de réduction des émissions, on ne peut pas imaginer un marché du CO2 global, avec un seul prix du carbone. Cela n’empêche pas d’encourager l’émergence de marchés du carbone et de systèmes de taxes un peu partout, en fonction des chemins adoptés. Plutôt que de créer un marché mondial ex nihilo, on pourra ainsi faire progressivement converger les marchés existants : en Californie, au Québec, en Corée du Sud, en Chine, dans l’Union européenne…

Lors du dernier Congrès mondial du gaz de Paris en juin dernier, les industriels du gaz ont rappelé l’importance de la COP 21 et leur volonté de lutter contre le changement climatique. Ils ont mis en avant les nombreuses mesures innovantes du secteur (biométhane, power to gas…). Pensez-vous que les innovations peuvent contribuer à répondre au défi climatique ?

Bien sûr : certaines innovations de rupture, notamment sur la capture et stockage du carbone ou le stockage de l’électricité, peuvent changer la donne. Si l’on regarde les progrès faits en seulement cinq ans sur les énergies renouvelables, notamment le solaire photovoltaïque, c’est considérable et cela donne à tous le sentiment du possible. C’est pourquoi nous agissons pour stimuler les investissements, tant publics que privés, sur la R&D en faveur du climat. Ceci dit, il ne faut pas tout attendre des innovations à venir. Plus tôt on agit, mieux c’est, et nous pouvons d’ores et déjà transformer nos économies en profondeur grâce aux technologies et procédés existants.

Ce rendez-vous est aussi un défi en termes d’organisation. Plus de 40 000 personnes sont attendues pour prendre part aux négociations. La France sera-t-elle prête à temps ?

Oui, je ne suis pas du tout inquiète. L’équipe du secrétariat général à l’organisation de la COP 21, sous la direction de Pierre-Henri Guignard, fait un travail formidable depuis deux ans. C’est l’avantage d’avoir été le seul pays candidat pour accueillir la COP 21 : nous savions, longtemps à l’avance, que nous serions très probablement désignés et nous avons