5,8 millions de ménages sont en précarité énergétique

Publié le 12/05/2016

16 min

Publié le 12/05/2016

Temps de lecture : 16 min 16 min

A l’heure ou les dépenses énergétiques demeurent l’un des principaux sujets de préoccupation des Français gaz d’aujourd’hui a rencontré Jean Gaubert médiateur national de l’énergie. Il fait le point sur les différents dossiers qui implique la filière : les compteurs communicants, le chèque énergie, l’ouverture à la concurrence…

Par Laura Icart

 

Pouvez-vous nous parler des missions qui sont les vôtres et de votre rôle de médiateur national de l’énergie, qui s’élargit avec la loi de transition énergétique pour une croissance verte ?

Jean Gaubert : Depuis sa création le 7 décembre 2006, le médiateur national de l’énergie a deux missions : participer à l’information des consommateurs d’énergie sur leurs droits et proposer des solutions amiables à leurs litiges avec les entreprises du secteur de l’énergie. Dans un premier temps, notre champ d’actions se limitait aux seuls contrats de fourniture d’électricité et de gaz naturel avec des seuils de puissance et de consommation pour les professionnels. En 2013, avec la loi Brottes, les non-professionnels, les petits professionnels et les litiges liés aux raccordements sont entrés dans notre domaine de compétence. Depuis la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, nous pouvons intervenir sur toutes les énergies de consommation domestiques : l’électricité, le gaz naturel, mais également le gaz pétrole liquéfié (GPL) en bouteille ou en citerne, le fuel, le bois et les réseaux de chaleur. Mon équipe a traité un peu plus de 12 000 litiges en 2015, un chiffre en baisse par rapport aux années précédentes (14 412 en 2014). C’est un motif de satisfaction pour nous car c’est la preuve que notre action paie. À force d’échanger avec les énergéticiens, de faire des recommandations génériques, de peser et, lorsque c’est nécessaire, de mettre en cause publiquement les problèmes rencontrés, les pratiques des opérateurs évoluent dans le bon sens. Sur un certains nombres de sujets nous avons fait avancer les choses, parfois en lien avec le législateur ou la commission des clauses abusives. Dans notre pays, il est souvent nécessaire de passer par la case législative car, en l’absence de contraintes, la concertation a du mal à aboutir.

Le saviez-vous ?
Si entre  2014 et 2015 la facture des consommateurs aux tarifs réglementés et chauffés au gaz naturel a diminué de 8 %, en cumulé depuis 2007 la facture TTC a, elle, augmenté de 26 % pour le gaz naturel.

Les dépenses énergétiques demeurent l’un des principaux sujets de préoccupation des Français et à juste titre lorsque l’on sait que 12,2 millions de Français, soit 5,8 millions de ménages, sont dits « en situation de précarité énergétique ». Comment peut-on expliquer ce phénomène ?

Effectivement, l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), dont le médiateur est partenaire depuis sa mise en place en 2011 évalue à 5,8 millions le nombre de ménages en précarité énergétiquei. La précarité énergétique est liée à trois facteurs : la fragilité des foyers disposant de faibles ressources financières, la mauvaise isolation des logements et le prix de l’énergie. Depuis une décennie le revenu des catégories modestes n’a pas évolué, en tout cas n’a pas d’augmenté à hauteur de l’inflation. Par contre les énergies ont augmenté, c’est plus vrai aujourd’hui pour l’électricité que pour le gaz mais il n’empêche que c’est une part beaucoup plus importante consacrée à l’énergie dans le budget des ménages français. Les gens les plus en difficulté sont souvent ceux qui se trouvent dans les bâtiments les plus vétustes, avec des coûts énergétiques élevés. La précarité énergétique concerne de plus en plus de Français et c’est un sujet de préoccupation majeure pour nous car elle a un impact social et sanitaire important.

Vous vous êtes fortement impliqué dans le projet de loi sur la transition énergétique, notamment dans l’article 1 sur les moyens de lutte contre la précarité énergétique. Êtes-vous satisfait du contenu de cette loi ?

J’ai porté et voulu plusieurs dispositions de cette loi de transition. Comme le remplacement des tarifs sociaux par le chèque énergie, valable pour toutes les énergies de chauffage. Cette demande qui voit le jour aujourd’hui était déjà défendue par mon prédécesseur. Une autre mesure est tout aussi importante à mes yeux : il s’agit de la limitation à quatorze mois des rattrapages de facturation. Aujourd’hui, les consommateurs peuvent se voir réclamer rétroactivement par leur fournisseur des factures importantes, correspondant à deux ans de consommation. Elles sont dues à des prises en compte tardives, par les fournisseurs, des relevés de consommation effectuées par les distributeurs ou les consommateurs (auto-relevés), voire à l’absence totale de relevés. Dans ces cas, les factures sont établies sur la base de simples estimations sur de longues périodes. Pourtant, la réglementation oblige les fournisseurs à facturer, au minimum une fois par an, la consommation réelle de leurs clients. Ces factures de rattrapage s’ajoutent aux charges courantes et peuvent mettre les consommateurs en grande difficulté. C’est pourquoi, à l’appui de cas concrets, j’ai demandé à plusieurs reprises aux fournisseurs d’accepter de limiter à un an les rattrapages de facturation, comme cela a été fait en Grande-Bretagne où les consommateurs et les opérateurs se sont mis d’accord. Compte tenu de leur refus, j’ai proposé aux parlementaires de légiférer. La solution retenue a été travaillée en collaboration avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC). La troisième avancée à mon sens pour les consommateurs en situation de précarité énergétique, c’est la possibilité qu’ils ont, avec les compteurs Linky, de suivre leur consommation d’énergie en temps réel afin de les aider à mieux la maîtriser. Les fournisseurs sont tenus de mettre à leur disposition gratuitement un afficheur dans leur logement. Malgré ma demande de la généraliser à tous les consommateurs, elle n’a été retenue, dans un premier temps, que pour les consommateurs en situation de précarité mais elle pourra être généralisée ensuite, après un bilan qui sera effectué par la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Cette loi comporte de nombreuses avancées pour les consommateurs vulnérables. Il faut maintenant les mettre en application.

« Le chèque énergie apporte une aide à tous les ménages en situation de précarité, quel que soit leur mode de chauffage. »

Le décret définissant les conditions de mise à œuvre du chèque est paru le 8 mai 2016 au Journal officiel. Pouvez-vous nous parler plus précisément du dispositif dont les premières expérimentations ont débuté ?

Le chèque énergie doit être généralisé au 1er janvier 2018. Il a commencé d’abord par une phase d’expérimentation dans quatre départements : les Côtes-d’Armor, l’Aveyron, le Pas-de-Calais et l’Ardèche. La mise en œuvre a été rapide puisque les chèques ont été envoyés entre fin mai et début juin. Le montant moyen de l’aide est de l’ordre de 150 euros par an et varie en fonction des ressources et de la composition du foyer. Le nouveau dispositif apporte une aide à tous les ménages en situation de précarité, quel que soit leur mode de chauffage. Jusqu’à présent, le niveau de l’aide pouvait être très différent entre les ménages chauffés au gaz naturel (qui cumulaient le tarif social du gaz et de l’électricité) et les autres qui bénéficiaient uniquement du tarif social de l’électricité. Si je suis très favorable à ce dispositif, que j’ai voulu, plusieurs points de vigilance sont à considérer : le montant du chèque mériterait, à terme, d’être augmenté. Il faudrait qu’il soit en moyenne de l’ordre de 250 euros pour apporter une aide plus substantielle. Et également pour que tous les consommateurs y gagnent par rapport aux tarifs sociaux. En effet, si les foyers les plus modestes ayant un mode de chauffage autre que le gaz naturel sont gagnants, ce n’est pas toujours le cas des personnes chauffées au gaz naturel.

Quelle est selon vous la position des fournisseurs d’électricité et de gaz naturel face à ce nouveau dispositif ?

Les fournisseurs d’électricité et de gaz naturel sont opposés au chèque énergie car ils souhaitent conserver le système actuel des tarifs sociaux. EDF en particulier qui tend à faire percevoir le bénéfice des tarifs sociaux comme son initiative, en particulier dans certaines communications auprès des élus ou du public, et non comme une intervention publique pour laquelle il est compensé via la contribution au service public de l’électricité (CSPE) ou la contribution au tarif spécial de solidarité gaz (CTSSG). S’ajoute à cela le fait que sa contribution aux fonds de solidarité pour le logement (FSL), qui vise à traiter les situations d’impayés des dépenses liées au logement – dont les factures d’énergie -, lui est également compensée par la CSPE à hauteur de 20 % de leurs charges de tarif de première nécessité (TPN). Ainsi, EDF est compensé à hauteur de 23,3 millions d’euros en 2014, soit la totalité de sa contribution « volontaire » au FSL.

Quelles sont les réclamations les plus fréquentes que votre autorité a à traiter ?

En 2015, nos services ont reçu 12 319 litiges. C’est en baisse par rapport aux années précédentes. 3 497 ont été déclarés recevables. La moitié des litiges concernent les contestations des niveaux de facturation. Il s’agit le plus souvent d’estimation de consommation sur de longues périodes qui donnent ensuite lieu à des rattrapages de facturation importants, mais aussi d’erreurs de relevés de compteur, d’index relevés mais non pris en compte, de dysfonctionnements de compteur… En deuxième rang, les problèmes relatifs au paiement des factures représentaient 11 % des litiges recevables de 2015 : trop-perçus non remboursés et règlements non pris en compte constituaient l’essentiel des dossiers traités. Le nombre de ces litiges, souvent simples, est révélateur du manque d’efficacité du service de traitement des réclamations de l’opérateur concerné. 8 % des litiges recevables provenaient d’anomalies de facturation (absence de facturation, facturation incompréhensible, suspicion de double facturation…) et 8% de contestation des prix ou tarifs appliqués (prix appliqués différents de ceux souscrits, non application des tarifs sociaux, montant des taxes…), souvent conséquences de ratés informatiques. Les litiges relatifs à la qualité de la fourniture de l’électricité (creux de tension, surtensions, coupures accidentelles, microcoupures…) représentaient quant à eux 7 % des litiges recevables de 2015 et 6 % des litiges recevables portaient sur des retards dans la mise en œuvre de délais contractuels, en particulier lors de la résiliation d’un contrat.

Que pensez-vous de Gazpar ?

Je suis favorable à la mise en place de moyens de comptage le plus précis possible. Cela diminuera notre activité, notamment dans le traitement des litiges lié aux estimations de consommation, ce qui est une bonne chose. Nous aurons probablement à renforcer notre action d’information auprès des consommateurs. Avec les compteurs dits « communicants », on aura normalement des relevés de consommations précis. C’est un gain de temps et c’est important de pouvoir facturer précisément ce que le consommateur aura consommé, d’ailleurs de ce fait s’il consomme beaucoup, il pourra s’en rendre compte immédiatement et réagir en conséquence, ce qui n’est pas le cas avec une estimation. Je pense qu’il faut trouver un équilibre et ne pas rejeter le progrès que représentent des données précises de consommation pour les ménages.

Constatez-vous que les plaintes sur la qualité du service fourni touchent plus les « nouveaux » opérateurs que l’opérateur historique ?

Effectivement, le taux de litiges est un peu plus élevé pour les fournisseurs alternatifs mais il ne faut pas en tirer de conséquences particulières. Cela s’explique en partie par le fait que les consommateurs qui font la démarche de changer de fournisseur sont plus attentifs à leurs factures que les autres. Les écarts entre fournisseurs s’expliquent également par la qualité de la facturation, du service clients et du traitement des réclamations éventuelles. J’ai constaté une proportion plus élevée de litiges simples, qui auraient pu être facilement gérés par le service clients de certains fournisseurs alternatifs.

L’ouverture à la concurrence a généré de fait la mise en place de nouvelles pratiques commerciales qui peuvent abuser les consommateurs. De quelles manières abordez-vous ces pratiques ?

Nous essayons avec mon équipe de faire beaucoup de pédagogie auprès des consommateurs afin qu’ils soient plus au fait de leurs droits et surtout plus avertis de certaines pratiques commerciales litigieuses qui existent : en particulier le démarchage et des prix d’appel très bas. En 2015, 40 % des consommateurs interrogés dans le cadre du baromètre Énergie-Info déclaraient avoir été démarchés pour souscrire à une offre de fourniture d’électricité ou de gaz naturel (60 % par téléphone, 28 % par courrier et 25 % à domicile). C’est un niveau comparable au démarchage pour des travaux d’isolation (46 %) ou pour la production d’énergie renouvelable (38 %). Je suis régulièrement alerté par des consommateurs victimes de pratiques commerciales déloyales ou souhaitant dénoncer des pratiques agressives ou trompeuses. Deuxième problème que nous avons identifié : les offres promotionnelles ponctuelles, avec des prix d’appel très bas. J’invite les consommateurs à faire preuve de vigilance avant de souscrire à une offre et de bien comparer toutes les opportunités qui s’offrent à lui. C’est pourquoi notre site d’information Énergie-Info intègre un comparateur d’offres. Et pour les consommateurs qui n’ont pas accès à Internet, un numéro vert est disponible (0 800 112 212). Le consommateur est protégé dans notre pays mais il n’en a pas toujours conscience. Nous œuvrons en ce sens.

« L’arrivée des compteurs communicants va profondément modifier le marché de l’électricité et du gaz. »

Quelles sont vos priorités pour 2016 ? Et quelles sont les perspectives pour les années à venir ?

Ma priorité pour 2016, c’est d’abord un suivi vigilant de la mise en œuvre des avancées de la loi de transition énergétique : bien sûr, je vais suivre l’expérimentation du chèque énergie pour sa généralisation en 2018, ensuite je vais veiller à ce que le délai pour les factures de rattrapage soit bien respecté et enfin suivre le dossier des afficheurs de la consommation pour les plus précaires et son extension possible, après bilan, à l’ensemble des consommateurs. Je plaide également pour que le financement des énergies renouvelables ne soit pas uniquement imputable à l’électricité mais soit étendu à toutes les énergies. Cette évolution devra avoir lieu avec la prochaine loi de finance. La précédente a commencé à réformer la CSPE. Cette année, je m’attends à recevoir davantage de litiges concernant les énergies autres que l’électricité et le gaz naturel. Avec la loi de transition énergétique et l’ordonnance médiation, les fournisseurs ont l’obligation de mentionner notre existence. Et l’information commence à se faire. L’arrivée des compteurs communicants va profondément modifier le marché de l’électricité et du gaz. D’abord, de nouvelles offres voient le jour : par exemple, les offres heures creuses soir et week-end. Le médiateur a déjà fait évoluer son comparateur d’offres pour intégrer ce type d’offres. Concernant les litiges, leur nature va évoluer. Nous nous attendons à une baisse importante des litiges liés aux contestations des niveaux de consommation, qui représentent aujourd’hui la moitié des litiges. D’autres types de litiges vont sans doute émerger : offres non adaptées au besoin par exemple. Pour les années à venir, je vais continuer à accompagner les évolutions du marché de l’énergie et contribuer à faire améliorer les pratiques pour toutes les énergies. Pour le GPL par exemple, j’ai pu observer qu’il est difficile de comparer le prix des offres entre elles. Pourtant, à l’inverse de ce qui se passe dans les domaines de l’électricité ou du gaz naturel, le consommateur s’engage généralement sur plusieurs années lorsqu’il signe un contrat.

i Chiffres issus de l’enquête nationale « Logement 2013 » de l’Insee.

 

Jean Gaubert a été nommé médiateur national de l’énergie par arrêté interministériel du 19 novembre 2013, publié au Journal officiel du 22 novembre 2013. Né le 3 mars 1947, agriculteur-éleveur de profession, député des Côtes-d’Armor de 1997 à 2012 et ancien vice-président du conseil général en charge des affaires économiques, Jean Gaubert préside le syndicat d’électricité de son département depuis 1983. Il a été vice-président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), qui réunit les collectivités locales organisatrices des services publics de l’énergie, de l’eau et des déchets, de 1983 à 2014. Spécialiste des questions relatives à la consommation et à l’énergie, Jean Gaubert a été rapporteur du budget de la consommation à l’Assemblée nationale de 2006 à 2012 et vice-président de la commission des affaires économiques de 2007 à 2012. En 2011, il a mené une mission d’information sur la sécurité et le financement des réseaux de distribution d’électricité.